Épisode 297: Pourquoi croître?

Introduction

L’épisode 296 pose indirectement la question « pourquoi croître »?

C’est l’après-guerre qui a véritablement produit ce que nous appelons aujourd’hui l’impératif de croissance.

Mais la logique en était déjà présente chez Marx : le capital, pour rester du capital, doit croître pour survivre.
La différence est simple :
– le marchand échange pour couvrir un besoin ;
– le capitaliste produit pour dégager une valeur ajoutée qui permet au capital de croître.
Et dans cette mécanique, la croissance devient non pas une option, mais une conséquence obligatoire.

Le moment fondateur : l’après-guerre

Au lendemain de la Grande Dépression et des deux guerres mondiales, les États veulent éviter le chaos économique.
Ils cherchent des outils pour mesurer, planifier et relancer leurs économies.
C’est à ce moment-là que naît le produit intérieur brut, le fameux PIB, conçu dans les années 1930 par Simon Kuznets, économiste américano-russe.
Mais Kuznets, lui, était prudent.
Il écrivait déjà en 1934, dans son rapport au Congrès américain : « Le bien-être d’une nation ne peut guère être déduit d’une mesure du revenu national. »
Autrement dit : le PIB mesure l’activité (positive ou négative), pas la prospérité.
Mais la nuance s’efface vite.

Keynes et la naissance d’un réflexe

Au même moment, John Maynard Keynes, dans La Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie (1936), propose une vision révolutionnaire.
La prospérité ne dépend pas de la vertu de l’épargne, mais du niveau global de la demande effective — la somme de ce que les ménages, les entreprises et l’État dépensent.
Pour lui, si la demande ralentit, la production baisse, le chômage monte et la société s’enfonce.
Sa conclusion est simple : pour maintenir l’emploi et la stabilité sociale, il faut croître en permanence.
L’idée fait école.
L’État devient garant du cycle économique.
La croissance devient un objectif de politique publique, et bientôt, une promesse électorale.

Les années 1970 : quand le management s’en empare

Puis vient le ralentissement.
Les chocs pétroliers, l’inflation, la concurrence asiatique : l’âge d’or keynésien s’essouffle.
Mais plutôt que d’abandonner l’idée de croissance, le monde économique la déplace — du domaine public vers l’entreprise.
Les dirigeants deviennent les nouveaux gardiens de la courbe ascendante: tous font de la croissance le cœur de la stratégie.
Les grandes écoles de commerce et les cabinets de conseil traduisent l’impératif macroéconomique en langage micro : parts de marché, productivité, rendement du capital.
La formule implicite devient : grandir, c’est survivre; ralentir, c’est faillir, parce que:

  • Les prix baissent plus vite que les coûts fixes ne disparaissent; croître permet de compenser cette érosion en augmentant les volumes, la productivité et l’effet de levier.
  • Financement par les marchés boursiers donc valorisation par la confiance donc par la compétence (croissance) et la fiabilité (chaque année)
  • Condition de paix interne: les carrières progressent, les salaires augmentent – tout le monde est d’accord de jouer le jeu

La croissance cesse d’être un indicateur ; elle devient une identité. Une entreprise saine est une entreprise en expansion.

Les critiques du XXIᵉ siècle

Puis viennent les crises

Financière.
Écologique.
Sociale.

Et la question qu’on avait soigneusement évitée revient :
Croître, oui… mais pour quoi ?

Au tournant des années 2000, plusieurs voix brisent le consensus.

Tim Jackson, dans Prosperity Without Growth (2009), écrit :
« Nous avons confondu croissance économique et progrès humain. »
Il rappelle que la prospérité ne dépend pas d’une expansion matérielle infinie, mais de la qualité des liens, du temps et du sens.

Kate Raworth, en 2017, propose la théorie du donut, un modèle visuel simple :

  • le cercle intérieur représente le plancher social — les besoins humains fondamentaux : santé, éducation, logement, équité ;
  • le cercle extérieur trace le plafond écologique — les limites planétaires à ne pas franchir : climat, biodiversité, ressources.

Entre les deux, une zone d’équilibre : l’espace sûr et juste où l’humanité peut prospérer, sans exclusion ni destruction.

Ce cadre rebat les cartes : la question n’est plus combien croître, mais jusqu’où, et dans quelle direction.

Et aujourd’hui ?

Même McKinsey, jadis symbole du capitalisme d’expansion, parle désormais de croissance responsable et durable.
Mais le langage trahit encore une tension : tout le monde cherche à “croître autrement”, sans jamais dire où s’arrête le “autrement”.
Peut-être que l’enjeu du XXIᵉ siècle n’est plus d’accélérer, mais de réapprendre à choisir ce qui mérite de croître.
Des savoirs? Des liens?
Mais pas forcément des volumes, ni des rendements.

Episode préparé avec ChatGPT