Pourquoi cette personne peut-elle atteindre ses objectifs et pas celle-là? Dans quelles conditions? C’est ce que deux chercheuses anglaises ont voulu comprendre; j’utilise leurs découvertes pour vous apporter des éléments de réponse.
Comment atteindre ses objectifs?
Quand nous nous posons un objectif, nous tentons de concevoir un futur que nous désirons plus qu’un autre: je veux perdre du poids parce que j’ai mal au dos; je veux changer de job parce que je m’ennuie. Une fois l’objectif posé, nous mobilisons des énergies et des ressources en vue de l’atteindre; en particulier, nous imaginons une séquence d’actions à prendre. Cette séquence n’est pas toujours consciente, mais quand elle l’est, elle prend la forme d’un plan d’actions. En fonction de ces actions et de leurs succès respectifs, en fonction d’autre événements ou conditions extérieures, nous atteignons notre objectif, complètement, partiellement, ou pas du tout.
Perspective temporelle
Les deux chercheuses ont utilisé le concept de Time Perspective, développé par Lewin et repris par Zimbardo (connu pour The Lucifer Effect, que je vous recommande d’ailleurs), comme outil d’analyse. Cette perspective temporelle permet de distinguer chez les personnes leur tendance, souvent inconsciente, à assigner des catégories temporelles (présent, passé, futur) aux événements personnels et sociaux afin de leur donner une cohérence et une signification. D’après Lewin, la perspective temporelle, c’est « la totalité des points de vue d’un individu à un moment donné sur son futur psychologique et sur son passé psychologique » (voir Lewin, K., 1951. Field theory in social science. Harper, New York). Zimbardo a développé un questionnaire (le Zimbardo Time Perspective Inventory, le ZTPI) qui donne comme résultat une évaluation de l’orientation de la personne en fonction de ces catégories temporelles. Pour moi, les résultats sont les suivants:
- Passé-négatif 2.9 (dans la moyenne),
- Passé-positif 2.3 (en-dessous de la moyenne)
- Présent-fataliste: 1.7 (en-dessous de la moyenne)
- Présent-hédoniste: 3.1 (en-dessous de la moyenne)
- Futur: 3.8 (en-dessus de la moyenne)
Ces cinq catégories représentent des personnes qui, respectivement :
- Subissent leur passé et le voient comme une contrainte de leurs décisions et de leurs actions
- Utilisent leur passé pour informer leurs décisions et leurs actions
- Ressentent les contraintes de leur environnement comme plus forte que leur volonté propre
- Vivent l’instant présent
- Imaginent leur futur de manière concrète, logique, probabiliste
Dans mon cas, je vois mon passé trop comme une source de contraintes et pas assez comme une opportunité d’apprentissage; je me sens aux commandes de ma destinée; je ne vis pas toujours l’instant présent suffisamment pleinement (demandez à ma femme…) et j’ai les capacités d’imaginer un meilleur futur.
La perspective gagnante de la personne qui réussit à atteindre ses objectifs
Faisons maintenant le lien avec les résultats des deux chercheuses anglaises. Ceux-ci indiquent que les personnes qui obtiennent un score élevé (plus haut que 3) sur l’échelle Futur du ZTPI montrent les caractéristiques suivantes par rapport à l’atteinte d’objectifs:
- Elles ne restent pas au niveau de vagues intentions; elles les clarifient pour les rendre objectivables
- Elles fixent des objectifs plus modestes et se concentrent sur le processus
- Elles planifient l’exécution des actions destinées à l’atteinte des objectifs posés
- Elles procrastinent moins que les autres, en particulier parce que les processus de changement sont bien vécus
- En cas d’échec :
- Elles sont moins émotionnellement atteintes que les autres
- Elles les revisitent pour en comprendre les mécanismes (réévaluation cognitive, voir plus bas)
La solution pour atteindre ses objectifs
Ainsi, la recette du succès revient à, pour commencer, imaginer la situation future de manière concrète et ne pas rester au niveau des intentions; par exemple, ne pas dire « Ah, ça serait bien si j’avais un meilleur job » (intention), mais dire plutôt: « Je me vois bien comme formateur d’adultes en entreprise dans le domaine du leadership ».
Ensuite, lier un certain nombre d’objectifs à cette intention. Par exemple, afin de réaliser l’intention décrite plus haut, je dois 1. Obtenir un certificat de formateur d’adultes 2. Trouver une entreprise qui m’engage comme formateur d’adultes 3. Me former au leadership.
Une fois les objectifs posés, décliner en petits pas chacun de ces objectifs afin de rendre l’atteinte de chacun d’entre eux plus facile; par exemple, pour l’objectif 1, je dois a) me renseigner sur la formation b) choisir une institution c) trouver des fonds d) m’inscrire : plus l’engagement de ressources est petit pour l’atteinte de chaque pas, plus la gratification est rapide, et plus la motivation pour faire le pas suivant est grande, ceci d’autant plus que le score Passé-négatif est élevé puisque celui-ci aura tendance à indiquer des personnes avec une confiance en eux plus basse que la moyenne.
Enfin, planifier l’exécution de chacun de ces pas, ou en tous les cas les prévoir, pour de simples raisons de disponibilité des ressources à mobiliser (temps, argent, personnes, etc.). Cette planification permet également de lier l’exécution de chaque pas avec la mise en place d’une pièce de puzzle du futur à construire: l’image se développe petit-à-petit, lentement mais sûrement.
En cas de difficulté
La première difficulté vécue par beaucoup, dont moi, est la procrastination. Les moyens de s’en prémunir sont décrits dans la solution ci-dessus: petits pas progressifs dont l’exécution ou le résultat produira une satisfaction; ceci est important autant pour les personnes orientées Présent-Hédoniste (vivre positivement le changement) que pour les personnes orientées Passé-négatif (construction de la confiance en soi par accumulation de petits succès).
La deuxième est le manque d’autorégulation, c’est-à-dire la focalisation à outrance sur ce qui n’a pas fonctionné. Cette difficulté, de nature souvent émotionnelle, apparaît naturellement pour les personnes orientées Présent-Fataliste et Passé-négatif. A ce stade, ce sont les croyances qui sont en jeu et seul le travail sur soi (par exemple accompagné de coaching) peut faire changer la personne: « je crois que je suis acteur de mon changement » (croyance aidante), plutôt que « je crois que rien de ce que je fais ne comptera » (présent-fataliste) ou « je n’ai pas réussi par le passé » (passé-négatif) qui sont toutes deux des croyances limitantes. Ici, c’est le mécanisme de réévaluation cognitive (cognitive reappraisal) qui doit être utilisé: j’analyse ce sur quoi je n’ai pas ou plus prise (le passé, les conditions qui m’échappent) et je tente d’en déduire des schémas potentiels qui m’indiquent la marche à suivre. Par exemple, je bute sur le pas qui consiste à m’inscrire au cours de certificat de formateur d’adultes parce que j’ai peur de rater l’examen final; je cherche alors dans mon passé des exemples d’échecs dans des situations similaires et je tente de comprendre soit ce que j’aurais pu faire de différent à ce moment-là, soit dans quelles autres conditions j’aurais à l’époque pu réussir.
Les mots de la fin: humilité et courage
L’atteinte d’objectifs est au cœur de nos processus de changement et met en jeu, sans surprise, la panoplie complète de nos mécanismes humains: cognitifs, émotionnels et comportementaux. Les mots-clé, pour moi, sont humilité et courage: humilité du petit pas, mais courage dans l’imagination d’un futur meilleur. C’est l’utilisation conjointe de ces deux approches qui permet d’augmenter la probabilité de succès.
Failing time after time: Time perspective, procrastination, and cognitive reappraisal in goal failure; Jill Taylor et al., Journal of Applied Social Psychology, 46: 557–564, 2016.